Par Yann Serra, journaliste au MagIT.fr
Dans le domaine de l’informatique professionnelle, la communication des grands fournisseurs n’est plus en phase avec ce que les journalistes européens sont censés raconter à leurs lecteurs. A force de vouloir vendre du rêve, comme dans le B2C, le marketing a perdu le seul point qui compte en B2B : l’aspect utilitaire du produit.
Les services marketing ont manifestement décidé d’en mettre plein les yeux avec de prétendus experts, qui livrent des enseignements aux foules, à propos de sujets technologiques à la mode. Ils épatent en énumérant des chiffres, des études. Ils font rêver en parlant d’intelligence artificielle, de Cloud, ou de cyber-sécurité. Et tout ça pour donner envie au public de se surpasser. Bien entendu, la marque – plus que le produit, dont on ne sait plus grand chose – serait « la clé » pour y arriver.
Cette approche est en dissonance totale avec les attentes très pragmatiques des entreprises du vieux continent, lesquelles se demandent surtout comment un produit peut techniquement résoudre leurs propres problèmes. De ce côté de l’Atlantique, on n’a que faire de l’aura d’un expert, de ses études qui parlent de quelqu’un d’autre et encore moins de devenir un héros imaginaire. En revanche, on aime se sentir concerné.
Et, à ce titre, le message des grands fournisseurs ne paraît pas seulement inintéressant. Il sonne faux, voire irrespectueux.
À trop vouloir séduire, la communication devient contre-productive
Prenons un exemple simple. Récemment, un « expert », a partagé avec moi l’information suivante :
« Grâce à l’intelligence artificielle, vous pouvez donner un texte en anglais à Google et il la traduira en français de manière très efficace. »
(Je précise que cet expert ne travaille pas pour Google, mais pour un autre fournisseur informatique très célèbre)
Cette petite phrase, très représentative de la mécanique de communication des géants de l’IT, pose trois problèmes.
D’abord, elle est fausse. Non, Google n’est absolument pas efficace pour traduire un texte de l’anglais au français. En tant qu’expert moi-même dans le domaine (enfin… je suis français, quoi), je comprends donc que cet interlocuteur me raconte n’importe quoi. Je ne vais plus croire ce qu’il me raconte.
Ensuite, si cette personne ne voit aucun inconvénient à me raconter n’importe quoi à propos d’un domaine dans lequel elle sait pourtant que je suis un expert, c’est sans doute parce qu’elle n’a aucun respect pour moi. J’en conclus que son but n’est pas de m’aider.
Enfin, cette information est tout sauf intéressante. A l’évidence, je n’avais pas attendu cet entretien pour tester moi-même l’efficacité du service de traduction de Google. Donc, je suis venu rencontrer un expert dans l’espoir d’apprendre des choses nouvelles, mais, en fait, il me fait perdre mon temps.
Évidemment, il ne fait aucun doute que cet interlocuteur a voulu partager quelque chose qui me concerne, pour me séduire, et très simple, pour ne pas me perdre. Sauf que, voilà, ça ne marche pas.
En France, mais à ma connaissance dans tout le reste de l’Europe aussi, cette stratégie de communication très à la mode s’avère finalement contreproductive.
Un discours formaté pour épater, mais qui ne concerne pas
Le principe étant posé, entrons dans le détail. Il se trouve que tous les discours sur scène, les tribunes, ou les entretiens que livrent les porte-paroles des grands fournisseurs de l’IT sont formatés. Voici leur déroulement en 12 étapes :
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- beaucoup de données tirées d’études menées par Gartner, IDC et autres analystes, ou alors des informations que tout le monde a lu dans la presse, à propos d’un sujet donné,
- encore d’autres résultats d’études sur le sujet,
- et encore… l’idée est de faire passer le porte-parole pour quelqu’un de très érudit
- dire : « Comme nous le voyons, le monde a changé et les entreprises doivent embrasser ces changements »,
- changement No 1 : améliorer la productivité
- changement No 2 : améliorer un autre truc en rapport avec le domaine du produit (la sécurité, la puissance de calcul, la relation client, la communication, etc.)
- changement No 3 : se moderniser pour rester dans le coup.
- dire : « Et certains secteurs d’activité sont particulièrement concernés par ces changements »
- liste d’un maximum de secteurs d’activité qui n’ont rien de particulier (santé, industrie, commerce, transport, finance, média… « startup », même) pour faire riche
- dire : « Puisque ces changements sont là, ne pas changer n’est plus une option »
- dire : « Et voilà pourquoi un fournisseur tel que nous peut vous accompagner dans ce nouveau défi »
- fin, avec collaborateurs qui applaudissent dans la salle, partagent sur les réseaux sociaux, etc.
Voici ce qu’un professionnel européen de l’IT pense quand il entend tout cela (et par extension, le journaliste qui écrit pour lui) :
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- les données : « on sait déjà »
- encore des données : « vous remplissez parce que vous êtes paresseux, c’est ça ? »
- les changements : « je sais mieux que vous les changements que je dois faire »
- l’absence de détails : « je veux comparer votre solution avec celle de vos concurrents. Pourquoi cachez-vous les détails ? »
- les secteurs d’activité : « seul le mien m’importe, je me fiche des autres. Je perds mon temps. »
- « plus une option » : « je suis libre, je fais ce que je veux. Ne commencez pas à me dicter ce que je dois faire. »
- « pourquoi on peut vous aider » : « non, vous n’avez jamais dit pourquoi. Vous mentez. »
Et voici ce qu’un professionnel européen aurait plutôt aimé entendre, pour se sentir concerné :
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- En ce moment, nous savons qu’il y a tel problème que vous devez résoudre.
- Voici comment nous pouvons vous aider à le résoudre, avec des détails
- Voici les bénéfices que vous tirerez au final grâce à notre solution
- fin.
Trop de simplification, trop de Google Translate et pas assez d’histoires locales
Pour terminer, arrêtons-nous un instant sur trois détails qui, à eux seuls, ruinent tous les efforts de communication des grands fournisseurs IT.
Le premier est le fait de s’adresser au public en lui expliquant les choses « comme s’il était un enfant de cinq ans ». Autant cela fonctionne bien – en France, en Europe – quand un scientifique s’adresse au grand public, autant cela frise l’incident diplomatique quand l’auditoire est composé d’experts qui s’attendaient à parler d’égal à égal.
Le second est l’utilisation de Google Translate, une habitude de plus en plus fréquente chez des fournisseurs qui estiment que le siège doit garder le contrôle sur toute la communication mondiale. Ce service ne fonctionne pas bien : non seulement il rend la lecture du message désagréable, voire compliquée, mais en plus il se voit. Au mieux, le lecteur d’un billet traduit automatiquement l’interprétera comme un cruel manque d’attention. Au pire, il se dira que ce fournisseur ne fait même pas confiance à ses équipes locales pour adapter le discours.
Le troisième est l’absence d’histoires locales. Pour adhérer à ce qu’on lui raconte, un européen a besoin de se voir dedans, il veut des repères qui lui ressemblent, des témoignages qui mettent en scène des contraintes similaires aux siennes. Le secteur d’activité ne suffit pas : le système de santé en France n’a par exemple rien à voir avec le système de santé aux USA. Sans cet effet miroir, l’auditoire pensera que ce fournisseur n’a définitivement rien compris aux attentes de son marché.
Yann Serra is senior editor at LeMagIT. With a very technical knowledge of IT storage, he has written for various French tier one outlets including TechTarget, PC Expert, L’Informaticien, 01Business and others. Yann made his start on the IT press scene when he was only 16 years old (for Joystick and Amstrad 100%). In addition to his IT and reporting skills, Yann is also a very talented cartoonist!